Le débat actuel sur l’utilisation de l’herbicide, Glyphosate, matière active du Roundup pourrait être la partie visible de l’iceberg, éclairant les problèmes fondamentaux de nos institutions à la fois scientifiques et gouvernementales.
Qu’est le Glyphosate
Le glyphosate fut développé par Monsanto dans les années 70 et commercialisé sous le nom commercial de Roundup. Il s’établit rapidement en tant que moyen peu coûteux de contrôle efficace des mauvaises herbes. Le glyphosate est absorbé par les plantes et agit en bloquant la synthèse de certains acides animés dans les apex ou zones de croissance, ce qui entraîne la mort de la plante. Le glyphosate est généralement mélangé avec d’autres matières chimiques pour en faciliter l’application, et en améliorer l’absorption par les plantes. La matière active du glyphosate est tombée dans le domaine public il y a plus ou moins 20 ans, et Monsanto est actuellement en compétition avec d’autres sociétés d’agrochimie, plus particulièrement en Chine, où les compagnies commercialisent le glyphosate sous des noms commerciaux propres à chaque entreprise. Le glyphosate est l’herbicide dominant utilisé en agriculture, et il est aussi largement utilisé aussi bien dans le domaine privé, que dans le domaine public.
Quel est le lien entre le glyphosate et les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) ?
Les premiers OGM furent des variétés de soja génétiquement modifiées dans lesquelles un gène de résistance au Roundup fut introduit dans l’ADN. Les semences furent développées et commercialisées par Monsanto. L’UE fut défavorable à l’introduction des OGM dans les cultures en Europe mais cela étant, les OGM dominent le marché mondial ; il est estimé qu’environ 90 % du maïs, du soja et du coton cultivé au Etats-Unis est issus de semences « résistantes au Roundup », et cela est probablement aussi le cas pour les autres grandes régions agricoles du globe, telles que le Canada, l’Amérique du Sud, L’Asie, l’Afrique et l’Europe de l’Est. Les cultures OGM dominent le marché de l’industrie alimentaire (inclus les aliments vendus en Europe) et, est en partie responsable du faible coût des aliments dans le commerce et de l’abondance des produits agricoles disponibles.
Pesticides et herbicides
Les gens sont généralement confus au sujet des produits chimiques utilisés en agriculture. Ils les appellent simplement « pesticides », mais en réalité, les « mauvaises herbes » posent un problème plus intraitable en agriculture que ne le font les insectes ravageurs ou les maladies fongiques. Une mauvaise herbe n’est pas un ravageur qui attaque la culture, il s’agit simplement d’une plante qui est plus vigoureuse et mieux adaptée aux conditions locales que ne le sont les plantes cultivées. Les mauvaises herbes croissent plus vite et sont plus efficaces à retirer l’eau et les nutriments du sol, et si une chance leur est donnée, elles priveront de lumière les plantes cultivées. Tout fertilisant épandu sur le sol devient nécessairement un gaspillage de temps et d’argent si des mauvaises herbes sont présentes, puisque les mauvaises herbes s’en trouveront favorisées au net détriment de la culture en place. Alors que les ravageurs peuvent affecter une culture et en réduire la productivité, les mauvaises herbes ont la possibilité d’anéantir une culture entière. L’agriculture consiste fondamentalement à trouver des solutions pour permettre aux cultures de survivre face à la concurrence des mauvaises herbes. Traditionnellement les solutions consistent à passer la binette ou à arracher manuellement les mauvaises herbes. Plus récemment le labour était utilisé pour éliminer les mauvaises herbes avant le semis, et lorsque les herbicides furent introduits, ils étaient utilisés de la même manière, permettant un bon démarrage à la culture dans un sol exempt de mauvaises herbes. Cependant après quelques semaines, les mauvaises herbes réapparaissaient et commençaient à envahir la culture. Avec une culture OGM, il est possible à ce point de pulvériser un herbicide – les mauvaises herbes sont détruites alors que la culture continue normalement sa croissance. Moins de labours sont nécessaires et les rendements sont plus élevés. Traditionnellement les législateurs s’intéressent moins aux herbicides qu’aux autres pesticides, puisqu’il était admis que les produits qui affectaient les plantes ne pouvaient avoir aucun effet sur les individus – La théorie étant que la biochimie des végétaux est radicalement différente de la biochimie animale et qu’il n’y avait aucun recoupement possible.
Le dilemme scientifique
Le débat sur les herbicides dans la communauté scientifique au 21ième siècle fait écho au débat sur la cigarette à la fin du 20ième siècle, mais à un niveau d’échelle bien plus dommageable. Les industries du tabac gagnèrent en notoriété en recrutant des scientifiques reconnus et en les payant pour prouver que le tabac n’était pas dangereux pour la santé. Leurs efforts retardèrent la reconnaissance officielle des liens qui pouvaient exister entre le fait de fumer et l’occurrence des cancers, maladies des poumons et autres problèmes cardiovasculaires. En théorie cela amena les gens à se méfier des résultats de recherche issus du financement par des groupes d’intérêts. Dans le cas des plantes cultivées , cependant il n’y a virtuellement aucune recherche qui ne soit pas financée directement ou indirectement par l’industrie agro-alimentaire. Il n’est donc pas surprenant que tous soutiennent que les herbicides sont sans effet sur la santé humaine mais, de manière stricte ces affirmations sont soutenues par une recherche payée par les intéressés. D’un autre point de vue, les scientifiques médicaux sont payés pour rechercher les causes des problèmes de santé et des maladies. Hors il y a eu de nombreuses études épidémiologiques démontrant les liens entre le glyphosate et le cancer et d’autres maladies, mais les chercheurs de l’agro-industrie prétendent que si leur propre travail est considéré comme ayant certains biais, alors les même critères devraient être appliqués pour juger du financement du travail des scientifiques du secteur de la santé.
La science de l’environnement
Pour rendre les choses encore plus compliquées, il y a une nouvelle science, vaguement connue sur le nom de « science de l’environnement ». Elle ne suit pas les mêmes critères de rigueur communs aux sciences traditionnelles. Lorsque l’on étudie le monde de la nature, il n’est pas possible de conduire des expérimentations en conditions contrôlées, et de manière générale, les sciences de l’environnement vont à l’encontre des principes fondamentaux de l’approche scientifique où chaque élément est observé à partir de ces constituants simples. Dans la plupart des cas, les sciences de l’environnement se basent sur l’idée d’un « bon sens » commun à la majorité de la population, mais les résultats ne sont pas vérifiables en utilisant des méthodes scientifiques conventionnelles.
Une telle idée par exemple est que, le fait de fumer est mauvais pour la santé : pratiquement tout le monde pense que c’est vrai, mais les fumeurs ne veulent pas l’admettre, et il était pratique pour les compagnies du tabac de prétendre ce n’était pas le cas. Dans le même ordre d’idées, personne ne peut croire réellement qu’il est bon d’épandre des centaines de milliers de tonnes de produits chimiques synthétiques sur des millions d’hectares des meilleures terres agricoles du monde pour éradiquer les plantes sauvages qui pousseraient naturellement sur ces terres. Interrogés sur la question, la plupart des individus admettrait que l’on pourrait s’attendre à de sérieuses conséquences négatives si ces herbicides étaient utilisés sans discrimination. Les chercheurs en sciences de l’environnement se basent sur cette hypothèse, et postulent que l’utilisation du glyphosate est liée au rapide déclin des micro-organismes dans le sol, au tassement de la terre et de manière plus générale au déclin de la vie sauvage et des insectes. Ils pointent aussi, la présence de glyphosate dans l’eau et, les effets que cela peut avoir sur la vie aquatique ; et plus récemment, la présence quasi universelle de résidus de glyphosate dans les échantillons d’urine et de sang humains. Quelques unes de ces observations peuvent se révéler infondées, mais qui peut sérieusement croire que le glyphosate utilisé à une telle échelle, puisse être sans effet sur les personnes et sur la vie en général ?
Dilemmes politiques
Dans le monde moderne, tout le monde s’attend à ce que les gouvernements légifèrent sur tout ce qui concerne les choses en rapport avec l’alimentation et la santé. Généralement les gouvernements le font en demandant des « rapports scientifiques de chercheurs indépendants » pour être guidés dans leurs décisions. Dans le cas du glyphosate, les gouvernements n’ont pas ce luxe ; ils sont dans la position de choisir l’opinion d’une approche scientifique sur l’opinion d’une autre approche scientifique et auront à considérer les conséquences suivantes. A ce jour, les gouvernements des Etats-Unis ont largement opté pour les sciences de l’agro-industrie, qui peuvent avoir de sérieuses conséquences environnementales. L’Europe, d’autre part, se tourne plutôt vers le point de vue des sciences de l’environnement, ce qui pourrait entraîner de sérieuses conséquences économiques – si l’Europe décidait d’interdire à la fois, l’utilisation du glyphosate et l’importation d’aliments contenant des résidus de glyphosate, alors non seulement l’agriculture mais aussi toute l’industrie agro-alimentaire se trouveraient menacées, et il n’est pas certain que les étalages des supermarchés se trouveraient aussi bien fournis.
Quelques pays dont la France en particulier, ont déclaré leur intention de transformer leur économie pour la rendre plus durable et plus respectueuse de l’environnement. La question du glyphosate est un moyen de tester précocement cette intention.
Que devrait chacun faire ?
Pour la plupart de personnes, la question du glyphosate est un problème parmi tant d’autres, et comme pour les fumeurs dans le passé, elles préfèrent ne pas savoir même si cela pourrait les tuer. Pour les personnes qui souhaitent aborder sérieusement le problème, il y a très peu d’alternatives. Il semblerait que le corps de chacun contienne du glyphosate mais personne ne peut vraiment expliquer pourquoi, ni comment. L’agitation politique est évidemment une bonne idée, mais étant donné que les politiques n’ont pas de solutions pour résoudre le problème, cela n’est pas suffisant en soi. On pourrait avancer que la cause du problème est que pour certaines raisons les gens ont cessé de désherber à la main. Arracher les mauvaises herbes peut ne pas être considérée comme une activité très séduisante, mais il est difficile de comprendre pourquoi tout le monde considère cela comme étant indigne de leur condition. Désherber permet aux plantes que vous choisissez de faire vivre de prospérer, tout en gardant le contrôle sur les autres plantes, ainsi il n’y a aucun mal de fait. Le désherbage aide à modeler le monde naturel dans une forme qui est favorable à la vie humaine – ce qui ne peut pas être dit à propos du glyphosate.
Gareth Lewis, traduction par Eric Le Quéré